Les paysages sonores de Boris Jollivet. | première partie

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Entretien en deux parties, avec le chef opérateur son de Marche avec les loups.

En quoi consiste votre métier ?

Je suis audio-naturaliste, c’est-à-dire preneur de sons spécialisé dans la prise de son nature. Je pratique ce métier depuis plus de vingt ans, tous les sons naturels produits par la nature m’intéressent, la faune sauvage bien évidemment, mais aussi les éléments, le murmure de l’eau, le silence des cimes…

Avec quels outils, instruments, compose un audio naturaliste ?

Les sons produits dans la nature sont d’une richesse et d’une diversité insoupçonnées et infinies, toutes les fréquences y sont présentes avec une dynamique très large, de l’inaudible aux sons les plus puissants de la terre. Il faut donc trouver des outils adaptés et qui doivent aussi résister à des conditions contraignantes comme l’humidité, la chaleur, le froid…

J’utilise donc divers microphones résistants et d’une grande sensibilité. J’affectionne la quadriphonie, une prise de son avec quatre microphones pour restituer les ambiances sonores à 360° et permettre à l’auditeur de se retrouver immergé dans cette ambiance sonore tel qu’il pourrait l’être au naturel comme dans une forêt au printemps par exemple.

Cette technique est également très intéressante pour travailler le son surround en 5.1 pour le cinéma notamment et tenter de s’approcher le plus possible du réel.

J’utilise une parabole avec un microphone intégré au centre, cet outil est très utile car il est très directif, c’est-à-dire qu’il va me permettre de viser un son, l’isoler du reste et surtout de l’amplifier. C’est un peu le téléobjectif des preneurs de son. La parabole est idéale pour isoler le chant d’un oiseau.

L’utilisation de “micros spéciaux” est parfois nécessaire pour aller enregistrer d’autres “univers sonores” : l’hydrophone pour enregistrer le monde subaquatique, le détecteur d’ultrasons pour les chauves-souris et de nombreux insectes…

Les outils ont largement évolué en faveur de ce métier, autonomie des batteries, poids, résistance, encombrement. Cela facilite beaucoup les approches. Les outils les plus précieux sont mes oreilles, la connaissance et l’expérience de la nature et bien sûr la discrétion. Il faut parfois savoir se rendre invisible pour enregistrer un animal sauvage dans son milieu.

© Bertrand Bodin

En quoi le travail sur un documentaire de création est-il singulièrement différent d’un projet en prise de son direct ?

Le travail de prise de son de Marche avec les loups nécessite une collaboration étroite avec le réalisateur, Jean-Michel Bertrand souhaitait que j’apporte ma “patte” et ma sensibilité au film, mais il fallait tout d’abord que je comprenne son approche, son rapport au son, j’ai très vite senti sa sensibilité et son exigence avec le son. L’une des choses les plus importantes pour ce projet était en premier lieu de restituer au plus juste les ambiances de chaque milieu traversé par Jean-Michel Bertrand dans le film. L’air et le silence des cimes, la forêt qui s’égoutte après la pluie, les résonances des gouttes dans une grotte… Toutes ces finesses, ces détails qui donnent l’âme, l’esprit des lieux et que l’on ne peut pas capter en prise de son direct sur un tournage plus classique faute de temps. J’ai donc dû passer beaucoup de temps et à diverses saisons, seul sur chaque lieux et en profiter pour capter de nombreux autres sons, tel que les chants et cris d’espèces typiques de ces milieux, de jour de comme nuit pour agrémenter les sons du film dans le but de composer le mixage final du film.

Le travail de captation sonore se décompose naturellement en deux parties, car il faut aussi toutes les prises de son direct en lien avec Jean Michel, ses respirations, ses pas, ses repas, toutes ses activités, que j’ai pu réaliser à chaque fois que nous étions ensemble sur le terrain.

En élaborant un travail de composition indépendamment de la prise de vue, vous fictionnez donc le réel ?

De nombreuses personnes pensent que le son d’un film au cinéma est directement fait à partir de la caméra ou éventuellement d’un micro au bout d’une perche, ce qui serait beaucoup plus pratique et simple, mais ce n’est pas possible techniquement, et encore moins dans le cinéma animalier.
Des louveteaux qui jouent dans un pierrier filmés à plus de 500 mètres ne produisent aucun son d’où se trouve Jean-Michel avec sa caméra.
Imaginons en plus qu’il se trouve à l’affut en lisière de forêt, les sons qu’il entend à cet endroit ne correspondent en rien avec ce qu’il cadre. Et puis il y a toutes ces images que Jean-Michel tourne à l’affût quand je ne suis pas là, et qui seront choisis pour le montage du film…

Il va donc falloir composer la bande sonore sur le montage du film au moment de la post-production.
Choisir l’ambiance qui correspond au milieu, la saison, l’heure, la météo et qu’elle soit esthétique aussi, rajouter si nécessaire un cri d’oiseaux, un bruit de pierre, du vent dans les feuilles… c’est un vrai travail de composition sonore qui impose de respecter de nombreux codes, car chaque espèce a sa place dans la nature et ne se trouve pas aux mêmes endroits.
En tant que naturalistes passionnés, Jean-Michel et moi portons une grande importance à respecter cet ordre qu’impose la nature.
C’est ce qui est assez particulier dans le cinéma animalier, nous fictionnons le réel pour mieux s’en rapprocher mais essentiellement pour des raisons techniques et esthétiques.

à suivre…

© Bertrand Bodin

Entretien réalisé par mail, le 24 décembre 2019.

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