Patate | Rencontres avec les réalisateurs du programme

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Patate, programme de court-métrages produit par Folimage ressort au cinéma, désormais disponible en DCP.
Le programme réunit Patate et le jardin potager de Damien Louche-Pelissier et Benoît Chieux, avec en complément de programme La tête dans les étoiles de Sylvain Vincendeau, Le génie de la boîte de raviolis de Claude Barras, Circuit Marine d’Isabelle Favez et Le château des autres de Pierre-Luc Granjon.

A cette occasion, nous avons rencontré les réalisateurs du programme afin de revenir sur la création de leurs films.


Benoit CHIEUX parle du film Patate et le jardin potager.

« Dès le départ nous étions deux pour inventer cette histoire et réaliser ce film : Damien Louche-Pélissier et moi. Nous avons travaillé en pingpong, n’hésitant pas à intervenir sur les propositions graphiques de l’autre, même si à l’arrivée je me suis plus chargé des décors et Damien des personnages. C’est lui qui est d’abord arrivé avec ce personnage de Patate. Avec son tracé très simple, il nous a tout de suite plu, parce que très lisible, très proche d’un logo ! Nous avons dessiné chaque légume de manière presque symbolique.
On sait qui ils sont puisque leur nom est devenu celui de leur personnage. Cami Di Francesco nous a apporté l’idée du personnage de Soupe. On voulait aussi que les caractères des quatre personnages principaux soient très vite présentés.
Il y a Patate qui est un peu timide et qui va évoluer, poussé par ses copains ; Carotte, la fille ; Poireau un peu grande gueule et Brocoli qui parle toujours plus vite que les autres. Il fallait dessiner ces caractères en une seule scène. Caillou vient de l’envie d’un personnage minéral face aux légumes qui sont périssables, et puis c’est bien qu’après son long discours, on comprenne qu’il ne se prend pas au sérieux.

Naturellement nous utilisons la technique du dessin animé, puisque Damien et moi venons du dessin. C’était important pour nous que les personnages soient tracés au pinceau, qu’ils ne soient pas juste un contour avec de la couleur à l’intérieur.
Nous avons beaucoup travaillé sur les ambiances avec l’importance de la lumière et des dominantes de couleurs pour certains plans : comme le vert au moment de la découverte de l’écran de l’ordinateur par Patate et ses copains ou le bleu quand ils sont devant le réfrigérateur. Cela donne du rythme au récit.
Les voix de la bande-son étaient très importantes pour nous dans leurs différents timbres et dans leur décalage. L’idée d’une musique un peu leitmotiv et de séquences de style très différentes nous ont séduits. Cela participe au changement d’univers.

Aujourd’hui, je pense que ce film parle d’abord de l’amitié. Cette période marque pour Damien et moi l’aboutissement d’un travail en commun à Folimage.
Ce qui ressort surtout dans les projections avec des jeunes spectateurs, c’est l’enthousiasme que ce film transmet, et ça fait rudement plaisir ! Toute la réalisation de ce court métrage a été faite de vrais échanges, c’est véritablement une histoire de copains.»

Sylvain VINCENDEAU parle de son film La tête dans les étoiles.

« Le point de départ du film m’est venu un jour à Valence où je voulais voir les étoiles et je n’ai pas pu ! Puis l’idée de la colline, de la nuit à la belle étoile, de la tente, de la maison…
À cette époque, en 1993, je travaillais à Folimage où je suis resté près de vingt ans [J’ai notamment participé à « Patate et le jardin potager » pour le personnage du jardinier].
Nous avons eu ensuite un soutien financier de la société Caran d’Ache et du Festival d’Annecy pour commencer le film en 1998.
Je sais ce que je veux, je sais où aller et personne ne peut le faire à ma place. Un film c’est une intention de mouvement.

Je suis parti sur une base d’encre, puis du dessin à la craie sur cellulo*. L’arrivée de l’ordinateur en cours de création m’a permis des déplacements sur des images et de bénéficier de toute l’ampleur d’un décor. On découvre ainsi de la profondeur dans les collines, on sent l’espace, la profondeur de champ, on se sent dans un volume.
Le travail de Loïc Burkhardt sur la bande-son est très important : il a une vision du son, une vraie écoute des gens. Il fallait une ambiance nature, montrer que cette colline était déjà habitée par d’autres. Cyrille Aufort a apporté sa musique avec des mots.
Tous les gars qui ont bossé sur ce film sont à la base des amis. Le contact est plus facile pour faire passer ses intentions lorsqu’on a des affinités cinématographiques.

Pour moi le sujet du film, c’est vraiment la pollution lumineuse.
De nombreuses espèces animales disparaissent, des oiseaux sont perturbés dans leur migration par ces murs de lumières.
Cela dérègle également notre métabolisme par cette disparition d’alternance jour et nuit.
Enfin cela empêche de plus en plus d’observer les étoiles dans nos pays riches ! »

Claude BARRAS parle de son film, Le génie de la boîte de raviolis.

« Je connaissais les deux auteurs du livre et assez rapidement j’ai développé avec eux le projet d’en faire un film, en restant fidèle au graphisme qui me plaisait beaucoup. Je trouvais que c’était un beau conte sur l’amitié et l’échange entre deux personnes très différentes. Armand est solitaire et banal, le Génie est exubérant et original. Plus tard Armand va se rendre compte de la solitude de ce nouvel ami.

Je trouve qu’avec l’animation en volume, il y a plus de possibilités, on bricole, on essaye et du coup cela facilite la mise en oeuvre. Pour Armand, j’ai utilisé du latex et de la silicone après l’avoir façonné en pâte à modeler. Le Génie est en silicone teintée à partir d’un prototype n fibre de verre. Tous les éléments du décor sont en polystyrène sculpté, en carton ou en bois, avec beaucoup de mastic et de la peinture par-dessus.
Il m’a fallu deux mois pour réaliser le story-board, ensuite j’ai travaillé en équipe régulièrement sur une année pour finir par deux mois de tournage. Pour la bande-son, j’ai travaillé avec un vrai musicien, Julien Sulser, à partir du story-board.
Je souhaitais un univers proche de Bobby Lapointe ou de Gainsbourg. Pour le Génie, j’ai fait le choix d’un comédien basque avec son accent naturel. Pour les bruitages, Rafaël Somerhalder a proposé une liste de bruits, je voulais des chants d’oiseau calmes et des bruits un peu sourds et stressants.
Ensemble on a beaucoup parlé des personnages, de leurs gestes, de leur caractère, de leurs émotions. J’ai utilisé un appareil de photo numérique qui m’a permis de vérifier l’animation. À certains moments, on a moins de fraîcheur, on se pose des questions, il faut garder du recul.

Pour moi le vrai sujet du film c’est l’amitié, la rencontre, la découverte de la différence et du partage. Il parle un peu aussi de l’opposition entre la ville et la campagne. »

Isabelle FAVEZ parle de son film Circuit Marine.

« Au début de mon histoire, il y avait l’envie de bateaux et de mer. J’aime raconter des histoires qui forment une boucle. Celles qui commencent quelque part et reviennent à la même place avec des différences. Ce qui concerne la nourriture m’intéresse aussi beaucoup : qui mange qui ? Le capitaine est arrivé assez vite avec son animal de compagnie, un perroquet.
Je commence par des dessins, je ne sais pas écrire, la langue ce n’est pas mon truc, j’ai des idées très visuelles. Au début il y avait le perroquet qui avait mangé une fleur de tournesol, et puis des rats qui mangeaient les graines… J’aime bien raconter des choses un peu horribles pour dire qu’après la vie continue !

Pour la technique utilisée, j’avais commencé par des personnages en papier découpé, avec l’idée de ces carreaux en transparence et des
gens à Folimage m’ont conseillé de travailler uniquement sur écran. J’ai comme ça des petites idées qui viennent un peu par hasard, pas forcément rationnelles.
Je voulais des taches visuelles très lisibles à partir de cette idée de papier un peu déchiré et des traits très très fins pour les bras. Pour les bruitages, je voulais des vrais sons enregistrés, pas des imitations de miaulement, et une alternance avec la musique un peu gitane coupée régulièrement par le bruit des portes qui claquent.

Finalement le sujet de mon film tourne d’abord autour de la nourriture. Pour moi, ce film s’adressait d’abord à des adultes et j’ai été très surprise des réactions d’enfants que j’ai rencontrés. Ils étaient tristes que le chat se fasse bouffer par les pirates, alors je leur ai dit que c’était un acteur comme tous les autres personnages ! Tout le long de la réalisation, j’avais toujours l’idée en tête de rester lisible, je me disais qu’est-ce qui te gêne le plus ? Et j’essayais de corriger.
Quand je le regarde maintenant, je me dis que le capitaine a l’air un peu méchant, qu’il donne des coups de pieds à son chat… mais qu’en définitive, lorsqu’il pleure à la fin, on comprend qu’il est fin et sensible. »

Pierre- Luc GRANJON parle de son film, Le château des autres.

«Cette histoire m’est venue en dessinant. Il y a d’abord eu l’image d’un bus au milieu de rien avec cette envie de parler du sentiment d’être à côté des choses, de ne pas vivre ce que vivent les autres. Puis l’idée du château au milieu du désert est arrivée… alors j’ai poursuivi un premier story-board, une suite de petits croquis pour visualiser. J’ai besoin de voir pour entrer dans mon film.

Pour la technique, j’ai fabriqué mes personnages avec une tête en papier mâché, des yeux mobiles tenus par de la patafix avec un petit trou pour que je puisse les bouger avec une épingle. Sur une armature en fil d’aluminium, ils font une vingtaine de centimètres. Il y a aussi énormément de décors, dont certains que l’on ne voit que deux secondes !
Pour la bande-son j’ai demandé à Loïc Burkhardt une atmosphère de panique (on a utilisé des bruits d’éléphants déformés). Et des enfants d’une école sont aussi venus à Folimage pour des cris, des soupirs et des rires. Pour que cela sonne vrai, pendant que la classe était dans le studio d’enregistrement, un de leur copain sautait derrière la vitre en faisant des grimaces. Si j’ai mis des rires à la fin, c’est pour rester sur une image positive. Mais durant toute cette histoire, dans les différentes salles, chaque spectateur voit un peu ce qu’il veut. Je ne me suis donné aucune limite dans tout cet univers intérieur, je gardais l’idée d’un enfant qui se retrouve perdu dans un univers étranger… un peu comme s’il perdait ses parents dans un supermarché…

Il me faut du temps pour avoir du recul sur mon travail. Je sais que mon film n’est pas construit sur une intrigue, mais évoque une succession d’états d’âme, de sensations. Le personnage se retrouve seul, panique, puis il abandonne l’idée de rattraper les autres.
Pour moi, le gardien, c’est finalement un peu le magicien qui se retrouve dans l’enfant. J’écris d’abord pour moi, et il se trouve que mes héros sont des enfants. Je ne pense jamais à qui cela s’adresse en priorité.